"C'est facile d'écosser les petits pois. Une pression du pouce sur la fente de la gousse et elle s'ouvre, docile, offerte. Quelques-unes moins mûres, sont plus réticentes - une incision de l'ongle de l'index permet alors de déchirer le vert, et de sentir la mouillure et la chair dense, juste sous la peau faussement parcheminée. Après, on fait glisser les boules d'un seul doigt. La dernière est si minuscule. Parfois, on a envie de la croquer. Ce n'est pas bon, un peu amer, mais frais comme la cuisine de onze heures, cuisine de l'eau froide, des légumes épluchés - tout près, contre l'évier, quelque carottes brillent sur un torchon, finissent de sécher.
Alors on parle à petits coups, et là aussi la musique des mots semble venir de l'intérieur, paisible, familière. De temps en temps, on relève la tête pour regarder l'autre, à la fin d'une phrase; mais l'autre doit garder la tête penchée - c'est le code. On parle de travail, de projets, de fatigue - pas de psychologie. L'écossage des petits pois n'est pas conçu pour expliquer, mais pour suivre le cours, à léger contretemps. Il y en aurait pour cinq minutes, mais c'est bien de prolonger, d'alentir le matin, gousse à gousse, manches retroussées."
Je ne résiste pas à recopier ces lignes de Philippe Delerm auxquelles je pense à chaque fois que je me retrouve avec mon panier de petits pois à écosser. Certains auront retenu "La première gorgée de bière", moi c'est "Aider à écosser les petits pois" ! Il faut un talent inouï pour donner à une tâche aussi simple une telle sensualité...
Dans quinze ans, combien y aura-t-il encore de sages à qui ce texte parlera, et qui sentiront les grains glisser sous leurs doigts à la lecture de ces quelques mots ? Combien auront attendu la levée des graines, les premières pousses qui s'élèvent vers le ciel, la venue des fleurs, la formation des jeunes gousses jusqu'à la récolte finale au parfum du chèvrefeuille ? C'est si simple d'acheter un sac de petits pois congelés venant tout droit du bout du monde... Séquence mélancolie. C'est si bon d'alentir le temps.
C'est un livre que je ressors de temps en temps pour en relire quelques chapitres. Comme toi, j'y pense lorsque je ramasse des mûres ou je vais chercher le pain de bon matin...
RépondreSupprimerC'est un pur moment de plaisir de se replonger dans ce petit livre... et d'écosser les petits pois !
Beau post !
Les plaisirs (minuscules, certes) mais simples sont les meilleurs ! Des bons petits pois bien frais du jardin, beaux et 100% naturels, même minuscules, il en faut peu pour être heureux !
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